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Gilles St-Aubin et Monica Turcotte, tenanciers de la Cordonnerie Monkland

Située sur la rue Sherbrooke Ouest, la Cordonnerie Monkland est une échoppe emblématique du quartier NDG. À la base sur Monkland (d’où le nom !), sa réputation n’est plus à faire, étant considérée par beaucoup comme l’une des meilleures cordonneries de Montréal.

Je suis donc allé à la rencontre de ceux qui tenaient cette boutique, pour mieux en apprendre sur le métier de cordonnier qui m'était jusque là inconnu, et comprendre les enjeux modernes liés à cette pratique. J’ai pour cela eu la chance de passer plusieurs après-midis en la compagnie de Gilles St-Aubin et de Monica Turcotte, propriétaires de l’établissement.

 En prenant en photo des moments forts des journées de Gilles et de Monica et en vous trasmettant ce qu'ils ont pu m'apprendre à l'oral, j’espère pouvoir vous informer du mieux que je peux sur tout ce qui s’attrait à la cordonnerie et que j’ai pu apprendre grâce à ce projet.

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Direction donc la Cordonnerie Monkland (5883 Rue Sherbrooke Ouest, Montréal, QC H4A 1X7) ! Parti à la découverte d'une pratique qui m'était jusque là inconnue, je ne savais pas à quoi m'attendre, et je dois dire qu'à mon arrivée, je ne fus pas déçu ...

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Réparer : le métier de cordonnier

Gilles sablant un talon qu'il a lui-même posé sur la chaussure, afin qu'il soit de la bonne taille et de la bonne forme. Dans un but esthétique mais aussi pratique: on ne veut pas que le client souffre en portant ses chaussures ! Remarquez également à quel point il approche ses mains du papier sablé, je l'ai même vu les mettre à a peine un centimètre.

Là bas, j'y rencontre Gilles, qui d'apparence plutôt tacite, s'est révélé être quelqu'un de très bienveillant et attachant.

Cordonnier aguerri, Gilles travaille dans le métier depuis plus de 40 ans, Il passe la plupart de ses journées sur cette grosse machine qu'est le banc de cordonnerie. Grâce à celui-ci, Gilles sable les talons usés des chaussures, afin d'avoir une surface plane sur laquelle poser le nouveau talon.

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Gilles en plein travail sur le banc de cordonnerie

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Quand il le peut, Gilles arrache le talon usé directement de la chaussure lorsque celui-ci est mal collé. "Ça me sauve du temps" me dit-il.

Une fois la surface de la chaussure sablée, Gilles peut y apposer un nouveau talon (généralement en caoutchouc), en le sécurisant avec de la Krazy Glue de qualité industrielle et des clous spécifiques. Gilles possède une panoplie de clous, tous à des fins différentes en fonction des matériaux et du type de chaussure: certains sont en bois, d'autres font moins d'un demi centimètre, d'autres encore sont carrés... bref, il y en a pour tous les goûts !

"Mais le plus important c'est l'oeil. Un cordonnier débutant n'a pas ça, il fait des petites erreurs que moi je ne fais pas". En effet, pendant mon immersion, Gilles a insisté beaucoup sur l'importance d'avoir un bon oeil, de déceler visuellement les imperfections de son travail, qui pourraient causer des problèmes de dos et de hanches aux clients.

"Tu vois, il faut que l'avant de la chaussure touche le sol en même temps que le talon, sinon tu déformes le pied. Là je vérifie si mon talon est à la bonne hauteur, et si il ne l'est pas, je le sable encore" m'explique-t-il. Car après avoir sablé l'ancien talon et y avoir apposé un nouveau, Gilles doit sabler ce dernier. Pour que la chaussure soit confortable, il doit adapter chacun des talons qu'il appose, en réduisant leur hauteur, largeur,etc, grace à ses machines.

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Quand il n'est pas occupé à réparer des chaussures, Gilles s'adonne à la couture: Dans sa boutique, sacs et boîtes en tous genres affleuvent, et il s'occupe également de les réparer.

Il utilise pour celà une machine spéciale, une machine à courdre de cordonnerie. C'est une machine avec un moulin particulièrement gros, et qui n'est pas montée sur une table: Elle est également utilisée par des selliers, et permet de coudre sur des matières plus rigides qu'une machine sur table.

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Gilles réparant un sac sur cette fameuse machine à coudre

Pendant qu'il s'adonne à tous types de réparations, sa femme Monica, elle, s'occupe notamment du cirage des chaussures. La légende raconte qu'elle saurait faire l'un des meilleurs spitshine de Montréal.

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Un environnement de travail unique

Monica servant un client: Ici, elle lui explique le travail qui a été fait par son mari et les consignes pour l'entretien de sa paire de chaussures.

Une cordonnerie n'est pas une boutique comme une autre. Pour le cordonnier et ceux qui y travaillent, c'est un lieu un peu particulier, qui comporte parfois certains risques si on y prête pas attention. Au delà du danger, l'endroit est cependant très pittoresque et presque familial. J'ai eu la chance de moi-même sabler un talon de chaussure, et je dois dire qu'on se sent vite chez soi dans ce petit atelier.

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Les machines tournent à plein régime, et il est parfois difficile de s'entendre parler. Gilles m'a d'ailleurs expliqué que son père, lui aussi cordonnier, avait perdu une partie de son ouïe à force de ne pas protéger ses oreilles.

Dans cet atelier compact, les lambeaux et poussières de cuir recouvrent le sol, et l'air est empli d'une odeur très distincte et particulière, qui reste sur les vêtements après avoir quitté l'endroit. Un mélange de cuir brûlé, de caoutchouc et de colle: c'est un parfum qui bien que dérangeant au début, devient vite agréable.

Les débits peuvent être très élevés en une journée. La pandémie de COVID-19 ayant ralenti les activités de Gilles et de Monica, ils ont pu me prendre sous leur aile pour réaliser ce photoreportage, ce qu'ils n'auraient pas pu faire en temps normal. Et malgré des activités ralenties, j'ai quand même pu observer Gilles se presser lorsqu'il avait beaucoup de commandes à réaliser.

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Entre deux réalisations, Gilles attrape un bout de sandwich posé sur le coin d'un plan de travail. Son repas du midi qu'il mange à la va-vite lorsqu'il est pressé.

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Une pratique en déclin

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Malgré le haut débit de commandes que reçoit Gilles tous les jours, il faut se rendre à l'évidence: la cordonnerie n'est plus ce qu'elle était. "Il y en a de moins en moins. Et ça fait des années que c'est comme ça, j'ai même pas trouvé quelqu'un pour reprendre la boutique. Après nous, il n'y a plus rien." et c'est ce constat qui attrsite bien Gilles.

Il a été un des directeurs du programme de cordonnerie instauré par le gouvernement du Québec dans les années 80-90, et ce dernier a fermé depuis. La demande en cordonnerie se fait de plus en plus rare, et par conséquent, les cordonniers aussi.

Car les moeurs ont changé depuis un demi-siècle. Les gens achètent plus de chaussures, et plus de chaussures de basse qualité. Contemplant ce qui serait considéré de nos jours comme une  chaussure 'normale', Gilles m'explique que "de l'époque de {son} père, ça, c'était considéré comme une chausure de vraiment mauvaise qualité". Les critères ont changé, et les gens n'investissent plus leur argent dans des chaussures classiques et avec un bon montage (les ingrédients d'une chaussure qui dure selon Gilles) et n'en prennent plus autant soin qu'autrefois. Dans la cordonnerie, j'ai pu voir des centaines de chaussures, et rares étaient celles qui avaient été cirées ne serait-ce qu'une fois.

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Gilles découpant un patron de la chausure pour la renforcer à l'aide d'une bande de cuir

Réparant une fausse paire de Ferragamo, Gilles me montre les finitions et le montage de celle-ci. "Tu vois, la matière ne va même pas jusque dans la semelle. Pour économiser, ils ont finit ça avec de la guenille et du carton. C'est vraiment de la merde." Certaines chaussures ne sont également pas resemelables, comme la plupart des sneakers, très populaires de nos jours.

Malgré un marché changeant et difficile pour la cordonnerie, il faut néanmoins souligner le développement d'une contre culture. Bien qu'ils soient encore très peu, de plus en plus de gens choisissent de posséder moins de paires de chausures mais de meilleure qualité et de les entretenir, afin qu'elles durent le plus longtemps possible. Dans cette optique, la cordonnerie devient indispensable: on peut donc quand même espérer voir le métier survivre, au grand plaisir de Gilles et de Monica, qui ont malgré tout bien du plaisir à réparer de belles chaussures quand celles-ci se présentent à leur porte.

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